LETTERA AMOROSA : JE N’EN VEUX RIEN SAVOIR

CHRISTINE DURA TEA
2023

Je voudrais ce soir remercier Pierre Christophe Cathelineau pour sa proposition d’intervention sur cette leçon 8 qui pourrait se déplier à l’infini !

Je reprendrai dans mon propos avec ce titre dont je m’expliquerai à la fin de l’intervention : « Lettera amorosa, je n’en veux rien savoir », la question de la lettre d’amour. Lacan insiste pour nous dire que la lettre d’amour c’est : « la seule chose qu’on puisse faire d’un peu sérieux ». La question de la série et du sériel propre à la lettre, à prendre à la lettre, n’est donc pas loin. Vous avez donc compris que mon intérêt se porte avant tout sur la lettre, non en tant que phénomène sonore, mais de la lettre logique ou mathématique qui ne renvoie à aucune réalité phénoménale. Mais faut-il encore vouloir entendre son propre « je n’en veux rien savoir », pour apprendre à lire cette lettre dans une série à condition qu’elle soit inscriptible et qu’on puisse la lire. Cette formule : « je n’en veux rien savoir » au commencement du séminaire ENCORE, n’est pas si facile à saisir. Ne rien en dire ferait preuve d’une passion de l’ignorance, je préfère essayer d’en dire quelque chose y compris des bêtises. La question du sexuel est bien en jeu dans le savoir évoqué ainsi que la question de la jouissance, des lettres de jouissance inscrites dans le corps. Ce « je n'en veux rien savoir » ferait-il entendre un absolu du savoir ? Qu’est ce qu’il y aurait donc à savoir ? La question de la double négation est à souligner aussi. Pour le moment, je vais m’en tenir à ce point où le Discours de l’Analyste nous convoque : la question de l’impossible, et reformuler ainsi : « ne rien vouloir savoir » de l’impossible à savoir c’est-à-dire, l’impossible à nier le rapport sexuel et à l’affirmer. Ne rien vouloir savoir de la négation du rapport sexuel, en niant l’impossible de son affirmation, sauf exception mentionné par Lacan entre les générations voisines, parent-enfants ou par l’existence éventuelle d’un troisième sexe, et je rajoute ou en passer par la lettre d’amour. Et pour reprendre ce soir la formule de Clotilde : « la lettre d’amour qui s’écrit au pied du mur du rapport sexuel. »

Pour être sérieuse ce soir, je voudrais avoir une pensée pour les femmes et les hommes en Iran. Dans ce pays, depuis des siècles, la poésie, les arts et la 2 culture se sont toujours exprimés quelques que furent les guerres. Dans ce pays aujourd’hui sous le pouvoir divin incarné par leur président, guide suprême, les femmes et les hommes sont en marche d’une révolution où les femmes, comme toujours dans l’histoire de l’humanité sont au premier plan, prêtes à révéler les avatars imaginaires du discours du Maître, prêtes à se sacrifier et à se battre ; certaines d’entre elles sont parties au Kurdistan et sont devenues des peshmergas qui manient les armes aussi bien que les hommes. Alors qu’elle fut donc cette fureur intégriste meurtrière qui a tué cette jeune femme – Massa AMINI- car elle avait retiré dans l’espace publique son voile. Qu’avait-elle donc dévoilé ? Il est certain qu’une femme n’est pas toujours là où on l’attend. Mais qu’avait donc dévoilé cette jeune femme pour mourir sous les coups de la police des mœurs ?

  • Avait-elle dévoilé, un morceau de corps objet du désir d’un homme qu’elle offrait désormais à la jouissance de tous les hommes ?
  • Voulait-elle dire qu’elle n’était pas toute ? Pas toute prise dans la logique phallique du lien social intégriste de son pays, afin de l’interroger et de l’entamer, ce discours intégriste ?
  • Aurait-t-elle dévoilé une lettre, un signe d’amour qui a mis en mouvement un changement de discours, une révolution pour la ronde des discours.
  • Aurait-elle dévoilé la face cachée de Dieu : La haine, venant boucher, le signifiant du manque dans l’Autre, et tout accès possible, à l’amour au savoir, à l’hétéros.

Cette lettre dévoilée pourrait-elle nous permettre d’en savoir quelque chose sur l’intégrisme religieux et politique dans cette partie du monde qui forclos l’hétéros dans l’espace publique.
Un collègue éclairé m’a renseigné, il connait bien l’Islam et la langue arabe. « En langue arabe, la femme est donc appelée Harim, en lien avec l’espace privé, il s’agit d’un mot dérivé de Haram. Ce mot désigne, ce qui est tabou, ce qui est interdit au contact. Tout contact à la femme étrangère, en dehors de la mère, de la sœur, des tantes…, est prohibé, y compris tout contact scopique. Le voile tire sa fonction séparatrice de cet interdit, il sépare imaginairement les deux sexes d’un point de vue scopique. Les salafistes croient que le voile bride la jouissance scopique, ils vont même jusqu’à considérer ce contact visuel entre la femme et l’homme comme une fornication, un péché. Le voile en arabe veut dire étymologiquement « instauré un obstacle ».1
Une forme d’obscurantisme a saisi cet intégrisme religieux qui s’en remet bien plus à l’oralité déployée dans le prêche des Imans, qu’à la lecture et au transfert à un texte. Et nous mesurons que la mise en place d’une pensée dialectique et du mouvement qui peut nous aider à sortir du « je n’en veux rien savoir » ne peut s’amorcer qu’avec le nouage d’une écriture /lecture. La lettre depuis la leçon V, nous le savons concerne l’écriture. « Le voile, nous pouvons l’entendre comme la métaphore de ce qui vient voiler, masquer le réel de la différence des sexes. Les salafistes dans cette partie du monde, confondent le mot avec la chose, le texte avec le contexte, ce qui réduit le voile a un bout de tissu qui est alors imposé dans le collectif quand la femme sort dans l’espace public ». 2
Dans cette conception salafiste, comment la part homme, comment la part femme s’articule à la logique de la jouissance phallique et de la jouissance Autre ou supplémentaire que nous propose la leçon 8. Je ne pourrais pas vous répondre. Mais cette femme en jetant son voile suivi de beaucoup d’autres femmes ou hommes est venue révéler qu’au-delà de la jouissance phallique, le lien social de ce système devait désormais s’articuler à la part féminine et retrouver le chemin des arts de la poésie, de la culture chères à ce pays. Ainsi nous mesurons que quel que soit l’époque, le lieu ou l’air du temps, la féminité objecte à la place dans laquelle on voudrait l’assigner, elle échappe à la représentation, ainsi comme le dit Lacan dans cette leçon, La femme, on peut très vite la diffamer.
La part dite femme, dans le tableau de la sexuation, ne répond à aucun universel mais seulement à un rapport contingent au phallus. Cette part dite féminine n’est pas toute prise dans la dimension phallique et Lacan postule une jouissance proprement féminine, une jouissance du corps à laquelle il est difficile de donner une forme ou une raison. Aussi chaque femme est une exception, et ne peut être collectiviser. Ce manque de nom Lacan l’écrit S(A). D’être hors langage, cette jouissance ne lui donne aucune possibilité pour s’arrimer à une identification. Ce qui amène Lacan à souligner qu’une femme incarne pour un homme comme pour une autre femme, l’Au tre pour soi-même. Le féminin comme agent de l’Altérité, agent du S(A), signifiant du manque dans l’Autre, et de la jouissance Autre peut apparaître ce reste réel – une lettre- qui excède le signifiant Maître et déclenche souvent des interprétations novatrices dans le lien social. Une femme revendique souvent un signe d’amour, un changement de discours surtout quand le lien social entre les hommes et les femmes ne va plus, ainsi fut inventée la psychanalyse par Freud. Pourtant, souvent la femme reste quoiqu’il en soit au service du pouvoir et en oubliera parfois cette barre posée sur La femme, barre qui la divise, avant tout dans sa jouissance et ne la rend pas toute prise dans la fonction phallique.
Mais une femme n’accepte pas toujours d’être la muse d’un homme, elle préfère, elle aussi, le côté gauche du tableau que nous propose Lacan, elle veut le pouvoir, elle est le pouvoir, certes imaginaire tout en démontrant cependant, qu’elle peut exercer une autorité symbolique.
Dans notre lien social contemporain, en occident, là où le discours de la science galope, là où la jouissance scopique et pas que, est débridée. A l’ère du numérique, du sex-gender et du trans-gender qui nous fait tant parler, et pour cause mais aussi en considérant les féminicides, les violences faites aux femmes qui les diffament. Dans ce monde numérique du commerce sexuel sur les réseaux sociaux dont les rendez-vous ne débouchent pas toujours pas sur « il y a du rapport sexuel ». Nous pourrions supposer que l’algorithme informatique pourrait permettre d’écrire enfin un rapport entre lien sexuel et lien social, l’acte sexuel reste toujours comme le faisait entendre Pierre Christophe aux journées sur l’amour sur fond de non-rapport sexuel.
Mais rappelons que c’est bien dans l’inconscient « qu’il n’existe pas de rapport sexuel », qui puisse s’écrire entre un homme et une femme, « il n’y a pas ».
Mais comment pourrait s’écrire dans le lien social, un rapport entre les sexes sans évacuer la question de l’hétéros ?
Quelques jours, après avoir écrit ce propos, aux Mathinées lacanienne Pierre Christophe Cathelineau a tenté une écriture 3.0 à partir des topos et de deux valeurs de vérité, son intervention fut très intéressante mais bien complexe. L’amour que nous retournant sous toutes ses coutures, nous l’avons compris, sublime, ou suppléer à l’absence du rapport sexuel et condescend au désir, tout en chantant quel que soit l’époque un amour pour le féminin. Mais qui en écrirait la formule mathématique ? Pour introduire un « ça tombe » et non plus, « un ça tourne » !
Est-ce que le tableau de la sexuation présenté à la leçon 8 et qui s’appuie sur la logique aristotélicienne aurait permis à Lacan tout en mettant en œuvre les quanteurs dans une fonction séparatrice de la différence des sexes en tant que parlêtre, auraient permis d’écrire dans le lien social le rapport sexuel ? Si cela était le cas, nous le saurions. De toute évidence, la clinique et les débats sociétaux montrent que s’il y a bien deux sexes comme nous le propose le tableau, c’est à dire Homme et Femme dont on pourrait croire qu’ils s’accordent à leur anatomie, le vecteur pour s’orienter dans notre clinique actuelle reste à trouver.
Car les hommes et les femmes restent dans l’insatisfaction d’une jouissance espérée et font entendre « ça ne va toujours pas » « ou ce n’est pas ça » » sur les choses de l’amour et du sexe autant dans l’intimité que le social. Mais n’est-ce pas la fonction de la lettre et de l’écrit de buter sur « c’est pas ça » ? Voilà peut-être bien l’enjeu de cette leçon 8 et « ce n’est pas ENCORE ça » reste souvent la plainte dans les cures :
J’avais préparé deux vignettes cliniques, celle d’une femme, et celle d’un homme. Pour respecter le temps, je les mets de côté. En introduisant de la clinique, je voulais certainement vous faire entendre d’une part comment la lettre est prise dans la question du transfert et d’autre part, pour un clinicien la lettre de jouissance sur laquelle bute les patients mais également l’analyste, pour introduire un changement de discours, doit trouver un destinataire. La lettre que nous cernons dans la cure parvient toujours à son destinataire car les mots des patients touchent au Réel, et au S(A).
Le point de butée de la lettre dans la formalisation mathématique m’apparait dans cette leçon un enjeu car après avoir écrit, formaliser le tableau de la sexuation, sur quel réel , sur quel impossible de structure bute donc Lacan pour nous dire « Après ça, (l’écriture des formules de la sexuation, il vient également parler de la jouissance de l’idiot, et de la masturbation supportée par le phallus) pour vous remettre dit-il, il ne me reste plus qu’à vous parler d’amour…et de rajouter : « ceci est peu compatible avec la position d’où ici je vous énonce, c’est-à-dire la direction d’où le discours analytique peut faire semblant de quelque chose qui serait science. » Rappelons que l’Amour, parler d’amour c’est le signe que l’on change de discours.
Pour le discours scientifique les choses de l’amour, n’ont pas vraiment leurs effets, et ne font pas signe d’un changement de discours ou d’un impossible, car parler d’amour pour le discours scientifique c’est une perte de temps. La coalescence de l’objet a et de S(A), agit tout autant dans cette partie du monde qui voudrait évacuer l’hétéros, en nous promettant l’objet de notre jouissance. Il est intéressant de constater que pour le discours scientifique, comme pour le discours intégriste, les choses de l’amour et l’hétéros qui le supporte sont évacués.
Dans cette formalisation mathématique et logique des formules de la sexuation qui est fondée sur l’emploi de la lettre qui inscrit la jouissance comme métaphore, l’objet a, en précisant son aspect féminisant, quel réel, quelle lettre difficilement énonçable et inscriptible rencontre Lacan qui le conduira à poursuivre dans son articulation ultérieure avec les nœuds borroméens. Je formulerais l’hypothèse qu’il bute sur le signifiant LA (barrée) femme qu’il introduit dans ce séminaire, c’est-à-dire qu’il bute sur la castration féminine ? C’est une piste à développer que je ne vais pas creuser ce soir, mais que je garde en attente. A moins qu’en voulant parler d’amour qui est en soi dit-il une jouissance, il fasse entendre cette jouissance Autre ou supplémentaire qu’il attribue aux parlêtre du côté droit du tableau de la sexuation, jouissance dont le savoir à l’œuvre reste bien énigmatique, malgré son attente que les femmes et plus précisément ce LA (barré) femme puissent venir en dire quelque chose et lui révéler un savoir. Chercherait-il une muse ? Le point de butée serait-il du côté de cette jouissance féminine Autre qui reste silencieuse et n’entre pas dans la lettre du symptôme ; elle reste bien mystérieuse, et ne relève pas du corps parlant, l’écrit qu’elle peut produire à la limite de l’éprouvé relève d’une dimension mystique.
D’une certaine façon Lacan s’inscrit lui aussi côté droit du tableau afin d’écrire un savoir à partir de ce réel auquel cette jouissance Autre convoque certains parlêtres, tout en restant inaccessible le plus souvent à la formalisation, sauf à en passer sans doute par l’amour, une lettre d’amour. Mais il semblerait qu’une femme soit souvent amoureuse et n’aime pas vraiment les mathématiques et comme elle est amoureuse, il arrive qu’elle aime l’âme et qu’elle puisse aimer dans l’homme la façon dont il fait face au savoir dont il âme. Dieu cette garantie qui soutient la représentation psychique d’un monde, n’est pas loin, à condition de le lire du côté de S(A), mais si une femme prend l’homme pour Dieu et pense qu’il l’aime ce qui arrive souvent, toujours ! Alors, il existe un x qui ne soit pas PHI de x, et qui échappe de ce fait à la castration, figure d’exception qui est la figure mythique du Père ?

La théorie du genre aux États Unis s’est certainement appuyée sur le tableau
de la sexuation, pour le lire comme un jeu de rôles en effaçant le réel
anatomique de la différence sexuelle pour la rabattre sur le genre, ne retenant
que le terme générique d’HOMME, quid de l’hétéros qui reste pour moi le fil de
mon propos.
Car si Freud a amené la peste au États Unis, il « a attaché l’homme et la femme à un même et unique piquet pour reprendre Charles Melman, celui de la jouissance phallique pour rendre compte de la tournure et de la limite de leurs ébats ». Comment sommes-nous passés d’une subversion de l’ordre social par le désir sexuel en 1968, à la crise contemporaine des identités de genre et des transidentités.
La théorie du genre n’a certainement pas lu cette nouvelle lettre que Lacan introduit dans le tableau de la sexuation, cette cinquième lettre comme le fait remarquer Christian Fierens qui serait le « La barré » femme et qui vient émasculer de ce fait le signifiant femme mais qui pose également la fonction de la barre, de l’écrit, du phallus. DE ce fait c’est ma lecture, cette barre posée sur LA Femme est un redoublement du phallus.
Nous comprenons que ce redoublement du phallus pour le discours capitaliste, qui promet la jouissance sans limite est quelque peu problématique. Ce La barré femme ne peut que passer à la trappe dans notre monde contemporain, il nous reste à relever les modes de jouir de notre époque et la grande diversité de la vie sexuelle. L’œdipe n’est peut-être plus le seul scénario comme solution unique au désir, de ce fait le phallus délivré par le père comme idéal et emblème de la puissance symbolique, n’est lui aussi, tout comme les images et les signifiants, qui ne sont, qu’un semblant dont usent les hommes et les femmes au gré d’une virilisation ou féminisation du paraître (par-être) pour traiter le sexuel. Il nous reste néanmoins à préserver la question de cette théorie de la jouissance, qui va au-delà de la dialectique phallique. J’insiste à nouveau : cette logique formelle est fondée sur l’emploi de la lettre qui inscrit la jouissance comme métaphore, l’objet a, en précisant son aspect féminisant, dédoublée entre phallique et « Autre » ou supplémentaire dans son rapport complexe avec l’amour. Il m’apparait que le discours analytique qui fait semblant du discours de la science doit tenir le cap dans la direction de la cure car l’amour se joue sur ce fil de la coalescence que les quanteurs aristotéliciens renforcent entre S(A) et l’objet a qui cause le désir. Cet objet a, peut dans notre monde contemporain être rabattu sur les objets hétéroclites de la jouissance pulsionnelle, un travail de coupure, de séparation, de scansion se joue là, afin de ne pas rester sur le versant psychologique et psychothérapeutique.

Quels sont donc les amusements dans l’air du temps auxquels se livrent les hommes et les femmes dans la rencontre amoureuse. L’amour courtois se chante toujours. Des messages d’âmour dignes de lettres d’âmour sont souvent échangés sur la toile, enflammant la promesse d’une rencontre qui très vite tombera dans les limbes des messages supprimés. Mais ces hommes et ces femmes pour qui le commerce sexuel est de l’autre côté de l’écran se rencontrent-ils toujours au titre d’un signifiant qui reste de l’ordre de la contingence et d’un habillage du semblant en fonction de l’air du temps : L’homme, une femme sont-ils toujours des vocables qui recouvrent un réel anatomique ou bien doit-on les jeter avec l’eau du bain du sex-gender, comme déjà on a pu se débarrasser du signifiant Père et Mère au profit de : la parentalité et de la fonction parentale.
La question m’est venue cet été à Rome lors de l’intervention de Christine Robert.
Christine Robert que je remercie car elle m’a envoyé son texte et a accepté un échange, n’avait pas pour cette intervention à sa disposition le tableau de la sexuation et la logique des jouissances pour articuler l’accès au désir, d’un homme et d’une femme, ce qui me fait dire que nous ne pouvons pas nous en tenir à la lecture d’UN SEMINAIRE sauf à articuler un point théorique précis.
Il est évident qu’en s’appuyant sur l’écriture du fantasme pour saisir la question du rapport d’une femme à son désir, Christine Robert a buté sur la question de ce qui peut faire enfin rencontre amoureuse pour une femme. Car le fantasme reste pour un homme comme pour une femme phalliquement ordonné, opérationnel avant tout, pour ceux qui s’inscrivent du côté gauche du tableau de la sexuation, S barré poinçon petit a. Une femme peut effectivement aimer dans son partenaire un objet a et se situer de ce fait dans le côté gauche du tableau. Alors elle se « même » dans l’Autre et joue sa partie côté gauche des formules dans une coalescence de « a » et de S(A). Le fantasme est le plus souvent parasité par le fantasme incestueux d’une possible inscription du rapport sexuel, comme Christine Robert l’illustre dans son texte. Mais pourquoi dans la discussion qui s’en ait suivie l’hétéros de la différence des sexes a donc été évacué réduisant la question, au fantasme hystérique et au fantasme obsessionnel, ce qui n’a pas permis une véritable discussion sur ce travail qui avait pourtant un intérêt quant à la direction de la cure. La question de l’hétéros étant évacuée, Christine Robert s’est tue, ainsi que toutes les femmes de l’assemblée.
Comment une femme réussit-elle la rencontre amoureuse ? Voici une question importante, faut-il qu’elle en passe obligatoirement par la castration masculine, je ne le pense pas, même si c’est Lacan qui l’avance dans le séminaire L’Angoisse respectant la théorie freudienne. Freud s’est en effet réglé sur le phallus comme symbole de la castration pour penser la féminité. Il faudrait aller plus loin sur ce point ou bien il nous sera bien difficile de répondre aux critiques de phallocentrisme de la psychanalyse. C’est certainement en nous appuyant sur la logique des jouissances sur ce pas supplémentaire qu’une femme doit faire pour reconnaître qu’elle est divisée dans sa jouissance. Elle peut en fonction des espaces où elle se trouve orienter sa jouissance soit vers la fonction phallique, soit s’ouvrir au S(A), au signifiant du manque dans l’Autre. Car c’est dans la butée d’un « ce n'est pas ça », quand elle rencontre dans sa jouissance le bord d’une lettre que peut, peut-être, se défaire pour elle dans la cure la coalescence entre a et S(a) barrée.
Christine Robert termine son intervention en évoquant la fin de cure en disant que « ce qui fait nomination dans l’Autre pour un sujet ce n’est pas un nom propre, pas le signifiant Père, celui qui fait exception mais un jeu de lettres dans l’inconscient, c’est-à-dire un réel qui est le véritable garant du désir. » Et je rajoute :ainsi peut s’écrire une lettre d’amour, un changement de discours.

Écrire une lettre d’amour pour faire entendre à l’instar d’un madrigal, ou d’un poème la raison d’un amour qui produirait un changement de discours eut été l’idée de cette intervention.
Lettera amorosa est le titre d’un recueil de poésie de René Char, illustré par George Braque, je vous en recommande la lecture.
Je ne rangerais pas la poésie de René Char du côté de l’amour courtois car pour moi ce recueil recouvre ou dépasse d’une certaine façon la musique de Monteverdi et ses madrigaux du même nom qui restent très beaux, certes. Mais cette poésie de René Char autour de l’absence d’une femme nous ouvre au discours analytique lui-même tel que Lacan l’introduit dans le séminaire ENCORE, cela mériterait tout un travail, que je laisse en suspens pour le moment, mais je le reprendrais.

Les madrigaux de Monteverdi d’un style plus léger, hérité de la langue vernaculaire, et de la culture arabo andalouse, relèvent bien de la pratique de l’amour courtois, ils ont inauguré un nouveau style, l’invention de l’opéra au 16° siècle. Cette invention intervient dans un tournant politique important de l’Europe, un changement de discours.
L’amour courtois, le « fin Amor » qui a enflammé toute l’Europe du 16 °siècle au 18 ° siècle, à la recherche de cette JOY, de ce souffle créatif autant que destructif, cette forme de jouissance qui pouvait irradier toutes les nuances de l’amour pour la Dame a surtout renouvelé la langue tout en maintenant, pourtant, une insatisfaction dans l’amour. LA Dame, qui n’est pas barrée est alors le signifiant Maître d’une autre version du discours du Maître et d’un amusement homosexuel.
A la fin de son enseignement, le 8 janvier 1974, dans son séminaire XXI, Les non dupes errent, Lacan pose que « L’amour, c’est l’amour courtois ». Voilà qui m’interroge, que devient alors cette lettre, LA barré femme, la barre introduite sur La femme. Me voilà repartie à lire un Autre séminaire, et qu’est- ce que j’y trouve :

LA FEMME N’EXISTE PAS.

1* Eclairage Taha Benfaqir, psychologue clinicien à Nice
2* idem